Émilie Massemin (Reporterre)
Lundi 14 novembre, la justice jugera la légalité de quatre arrêtés de destruction d’espèces protégées.
Ils sont indispensables au début des travaux de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.
Qui sont ces habitants de la Zad à feuilles, à écailles ou à poils, qui pourraient faire obstacle au béton et au bitume ?
Lundi 7 novembre, devant la cour administrative d’appel de Nantes, la rapporteuse publique Christine Piltant a préconisé l’annulation de quatre arrêtés préfectoraux qui ouvrent la voie aux travaux de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.
La décision de la cour est attendue lundi 14 novembre.
Ces arrêtés autorisent la destruction des espèces protégées qui ont trouvé refuge dans les 1.426 hectares de mares, de haies, de prairies et de ruisseaux de la Zad.
Selon l’arrêté no 2013354-0009 du 20 décembre 2013, 97 espèces protégées seront affectées par le chantier et le fonctionnement de l’aéroport !
Sans compter le campagnol amphibie, qui a fait l’objet d’un texte à part.
Le bureau officiel chargé des études d’impact a sous-évalué la présence d’animaux et de végétaux menacés, ont constaté les Naturalistes en lutte.
Pendant trois ans, les botanistes, entomologistes, batrachologues et ornithologues de ce collectif ont bénévolement parcouru la zone humide et ses paysages bocagers pour réaliser leurs propres inventaires. Plus de 300 personnes se sont mobilisées pour mener à bien cette tâche. Leurs conclusions sont rassemblées dans la revue Penn ar bed (avril 2016) de l’association Bretagne vivante.
Reporterre vous emmène à la rencontre de six des habitants de la Zad, mis en péril par le béton et le bitume.
Mais qui, finalement, pourraient faire tomber le projet de futur aéroport.
Cette concentration de flûteau nageant confère au site de Notre-Dame-des-Landes un intérêt majeur pour la sauvegarde de l’espèce.
En forte régression à cause de la disparition des zones humides, la petite fleur blanche est protégée et a fait l’objet d’un plan d’action national de 2012 à 2016.
"Son bastion en France, le marais de la Brière, en Loire-Atlantique, est menacé, s’inquiète Mme Lachaud. Cette cuvette récupère toutes les eaux polluées d’origine agricole et urbaine. Or, le flûteau nageant a besoin d’eau de bonne qualité, pauvre en matières organiques. Par ailleurs, il est mangé ou étouffé par les espèces invasives, comme les ragondins, les écrevisses de Louisiane et les jussies."
Au contraire, la zone humide de Notre-Dame-des-Landes présente tous les atouts : eau de bonne qualité grâce à sa situation en tête de bassin versant, absence d’espèces invasives.
Cette forte densité permet aussi un brassage génétique satisfaisant entre les plantes qui vivent dans des mares isolées, grâce aux insectes pollinisateurs.
« La femelle pond près de la blessure d’un arbre âgé d’au moins 80 ans, fragilisé par la maladie ou la vieillesse, décrit Franck Herbrecht, entomologiste professionnel. La larve se développe dans le tronc pendant deux à trois ans en mangeant le bois. »
Après plusieurs mues, l’adulte finit de grignoter l’écorce et s’élance à l’air libre.
On détecte sa présence grâce aux trous, « ovales et assez grands pour y entrer le pouce », qu’il laisse sur le tronc. Bien que protégée à l’échelle nationale, « cette espèce n’est pas rare en France et elle se maintient plutôt bien dans l’Ouest bocager », précise M. Herbrecht.
Par contre, son habitat de prédilection, des haies où cohabitent des arbres d’âges variés et suffisamment vieux, se raréfie.
C’est pourquoi l’entomologiste se montre sceptique quant aux mesures de sauvetage envisagées — déplacer les arbres où se dissimulent les rejetons de grands capricorne en dehors de l’emprise du chantier, dans des zones de compensation.
« On ne peut pas déplacer un arbre de cent ans, insiste-t-il. Résultat, on le coupe et on espère que les larves survivront et arriveront à terminer leur développement. »
Pourtant, les petits ne mangent pas de bois mort.
Par ailleurs, en réinstallant les arbres, il faut s’assurer qu’ils sont assez proches les uns des autres pour permettre le brassage des populations, et qu’ils avoisinent des arbres plus jeunes qui pourront accueillir les insectes quand les plus anciens seront morts.
Surtout, ces mesures ne permettent pas la préservation des habitats. « Ce sont des kilomètres de haies qui vont sauter, dénonce M. Herbrecht. Que faire, replanter ? Mais on ne compense pas la perte d’un arbre de 80 ans par un arbre de 5 ans. »
C’est à la saison des amours, à partir de février-mars, qu’on a le plus de chance de les apercevoir.
« La grenouille agile est très rapide, elle pond ses œufs d’un seul coup puis sort très vite de la mare, précise Olivier Swift, batrachologue pour les Naturalistes en lutte et ingénieur écologue. Les tritons, eux, peuvent rester deux mois dans l’eau, où ils pondent leurs œufs un par un. Ils vont jusqu’à envelopper la ponte de feuilles aquatiques pour les protéger des larves de libellules ! »
Pas mal pour une espèce protégée inscrite à l’annexe IV de la directive habitats-faune-flore de l’Union européenne.
Pour le triton marbré et le triton crêté, l’évaluation est plus difficile, car seuls 10 % des adultes se rendent dans les mares pour se reproduire.
Mais leur taux de présence, dans 32 % des mares pour les tritons marbrés, fait de Notre-Dame-des-Landes le refuge de la troisième population française.
Un formidable réservoir que les mesures de protection envisagées — capturer les adultes dans les mares pendant la reproduction et les déplacer ailleurs — ne permettront pas de reconstituer.
« Seule une infime partie de la population sera prélevée, souligne le batrachologue. Ce n’est pas de la compensation, c’est un coup médiatique. »
Le lâcher des animaux dans des zones de compensation où habitent déjà des batraciens risque d’entraîner un déséquilibre du sex-ratio.
Enfin, grenouilles et tritons sont philopatriotes, c’est-à-dire qu’ils essaient à tout prix de retrouver la mare où ils ont l’habitude de se reproduire. « On risque de les retrouver sur les routes », redoute M. Swift.
Nocturne, très craintif, cet herbivore ne sort de son terrier mi-terrestre mi-aquatique que pour se nourrir et se déplace à l’abri des herbes hautes.
« Nous avons croisé quelques individus sur la Zad, mais nous avons surtout repéré sa présence grâce à ses crottes caractéristiques, d’un centimètre de long, aux bords arrondis comme un Tic-Tac noir », explique le docteur vétérinaire Frédéric Touzalin.
La Loire-Atlantique en général et la Zad en particulier, riches en zones humides, accueillent une population importante de ce rongeur classée « vulnérable » sur la liste rouge mondiale des espèces menacées, victime de la destruction de son habitat.
Pour cette raison, seule une minorité d’individus pourra être sauvée. Suffira-t-elle à reconstituer une population ?
« Il faut balayer cette idée qu’on peut déplacer les espèces, tranche le vétérinaire. Techniquement, il est impossible de capturer plusieurs centaines d’individus, seulement un ou deux pour la photo. »
La décision de la cour est attendue lundi 14 novembre.
Ces arrêtés autorisent la destruction des espèces protégées qui ont trouvé refuge dans les 1.426 hectares de mares, de haies, de prairies et de ruisseaux de la Zad.
Selon l’arrêté no 2013354-0009 du 20 décembre 2013, 97 espèces protégées seront affectées par le chantier et le fonctionnement de l’aéroport !
Sans compter le campagnol amphibie, qui a fait l’objet d’un texte à part.
Le bureau officiel chargé des études d’impact a sous-évalué la présence d’animaux et de végétaux menacés, ont constaté les Naturalistes en lutte.
Pendant trois ans, les botanistes, entomologistes, batrachologues et ornithologues de ce collectif ont bénévolement parcouru la zone humide et ses paysages bocagers pour réaliser leurs propres inventaires. Plus de 300 personnes se sont mobilisées pour mener à bien cette tâche. Leurs conclusions sont rassemblées dans la revue Penn ar bed (avril 2016) de l’association Bretagne vivante.
Reporterre vous emmène à la rencontre de six des habitants de la Zad, mis en péril par le béton et le bitume.
Mais qui, finalement, pourraient faire tomber le projet de futur aéroport.
Le flûteau nageant (Luronium natans)
- « Luronium natans », le flûteau nageant.
Cette concentration de flûteau nageant confère au site de Notre-Dame-des-Landes un intérêt majeur pour la sauvegarde de l’espèce.
En forte régression à cause de la disparition des zones humides, la petite fleur blanche est protégée et a fait l’objet d’un plan d’action national de 2012 à 2016.
"Son bastion en France, le marais de la Brière, en Loire-Atlantique, est menacé, s’inquiète Mme Lachaud. Cette cuvette récupère toutes les eaux polluées d’origine agricole et urbaine. Or, le flûteau nageant a besoin d’eau de bonne qualité, pauvre en matières organiques. Par ailleurs, il est mangé ou étouffé par les espèces invasives, comme les ragondins, les écrevisses de Louisiane et les jussies."
Au contraire, la zone humide de Notre-Dame-des-Landes présente tous les atouts : eau de bonne qualité grâce à sa situation en tête de bassin versant, absence d’espèces invasives.
Cette forte densité permet aussi un brassage génétique satisfaisant entre les plantes qui vivent dans des mares isolées, grâce aux insectes pollinisateurs.
Le grand capricorne (Cerambyx cerdo)
- « Cerambyx cerdo », le grand capricorne.
« La femelle pond près de la blessure d’un arbre âgé d’au moins 80 ans, fragilisé par la maladie ou la vieillesse, décrit Franck Herbrecht, entomologiste professionnel. La larve se développe dans le tronc pendant deux à trois ans en mangeant le bois. »
Après plusieurs mues, l’adulte finit de grignoter l’écorce et s’élance à l’air libre.
On détecte sa présence grâce aux trous, « ovales et assez grands pour y entrer le pouce », qu’il laisse sur le tronc. Bien que protégée à l’échelle nationale, « cette espèce n’est pas rare en France et elle se maintient plutôt bien dans l’Ouest bocager », précise M. Herbrecht.
Par contre, son habitat de prédilection, des haies où cohabitent des arbres d’âges variés et suffisamment vieux, se raréfie.
C’est pourquoi l’entomologiste se montre sceptique quant aux mesures de sauvetage envisagées — déplacer les arbres où se dissimulent les rejetons de grands capricorne en dehors de l’emprise du chantier, dans des zones de compensation.
« On ne peut pas déplacer un arbre de cent ans, insiste-t-il. Résultat, on le coupe et on espère que les larves survivront et arriveront à terminer leur développement. »
Pourtant, les petits ne mangent pas de bois mort.
Par ailleurs, en réinstallant les arbres, il faut s’assurer qu’ils sont assez proches les uns des autres pour permettre le brassage des populations, et qu’ils avoisinent des arbres plus jeunes qui pourront accueillir les insectes quand les plus anciens seront morts.
Surtout, ces mesures ne permettent pas la préservation des habitats. « Ce sont des kilomètres de haies qui vont sauter, dénonce M. Herbrecht. Que faire, replanter ? Mais on ne compense pas la perte d’un arbre de 80 ans par un arbre de 5 ans. »
Le triton marbré (Triturus marmoratus), le triton crêté (Triturus cristatus) et la grenouille agile (Rana dalmatina)
- « Triturus marmoratus », le triton marbré.
C’est à la saison des amours, à partir de février-mars, qu’on a le plus de chance de les apercevoir.
« La grenouille agile est très rapide, elle pond ses œufs d’un seul coup puis sort très vite de la mare, précise Olivier Swift, batrachologue pour les Naturalistes en lutte et ingénieur écologue. Les tritons, eux, peuvent rester deux mois dans l’eau, où ils pondent leurs œufs un par un. Ils vont jusqu’à envelopper la ponte de feuilles aquatiques pour les protéger des larves de libellules ! »
- « Triturus cristatus », le triton crêté.
Pas mal pour une espèce protégée inscrite à l’annexe IV de la directive habitats-faune-flore de l’Union européenne.
Pour le triton marbré et le triton crêté, l’évaluation est plus difficile, car seuls 10 % des adultes se rendent dans les mares pour se reproduire.
Mais leur taux de présence, dans 32 % des mares pour les tritons marbrés, fait de Notre-Dame-des-Landes le refuge de la troisième population française.
Un formidable réservoir que les mesures de protection envisagées — capturer les adultes dans les mares pendant la reproduction et les déplacer ailleurs — ne permettront pas de reconstituer.
« Seule une infime partie de la population sera prélevée, souligne le batrachologue. Ce n’est pas de la compensation, c’est un coup médiatique. »
- « Rana dalmatina », la grenouille agile.
Le lâcher des animaux dans des zones de compensation où habitent déjà des batraciens risque d’entraîner un déséquilibre du sex-ratio.
Enfin, grenouilles et tritons sont philopatriotes, c’est-à-dire qu’ils essaient à tout prix de retrouver la mare où ils ont l’habitude de se reproduire. « On risque de les retrouver sur les routes », redoute M. Swift.
Le campagnol amphibie (Arvicola sapidus)
- « Arvicola sapidus », le campagnol amphibie.
Nocturne, très craintif, cet herbivore ne sort de son terrier mi-terrestre mi-aquatique que pour se nourrir et se déplace à l’abri des herbes hautes.
« Nous avons croisé quelques individus sur la Zad, mais nous avons surtout repéré sa présence grâce à ses crottes caractéristiques, d’un centimètre de long, aux bords arrondis comme un Tic-Tac noir », explique le docteur vétérinaire Frédéric Touzalin.
La Loire-Atlantique en général et la Zad en particulier, riches en zones humides, accueillent une population importante de ce rongeur classée « vulnérable » sur la liste rouge mondiale des espèces menacées, victime de la destruction de son habitat.
- Des crottes du campagnol amphibie.
Pour cette raison, seule une minorité d’individus pourra être sauvée. Suffira-t-elle à reconstituer une population ?
« Il faut balayer cette idée qu’on peut déplacer les espèces, tranche le vétérinaire. Techniquement, il est impossible de capturer plusieurs centaines d’individus, seulement un ou deux pour la photo. »
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Source :Émilie Massemin pour Reporterre
Photos :
. Chapô : Triton crêté (© Olivier Swift)
. Naturalistes menant l’inventaire naturel sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes en avril 2013. © Les Naturalistes en lutte.
. campagnol : © Frédéric Touzalin
. flûteau : © Aurélia Lachaud
. capricorne : © Franck Herbrecht
. tritons et grenouille : © Olivier Swift