Les Chinampas, ces Îles cultivées, sont l’ancêtre de la permaculture et de l’Aquaponie au Mexique !
Par Catherine Pizani[1]
Le jour où Cortès arriva aux abords de Tenochtitlán (l’ancêtre aztèque de la ville de Mexico) il regarda longuement ce paysage fait de canaux et de Chinampas[2] sans savoir exactement ce qui le surprenait le plus : la beauté de la cité lacustre ou le génie de son système hydraulique.
Crédits photo : peinture de Diego Rivera. Source : Entorno Turístico
Cortès y rencontra certainement l’ancêtre nahua[3] de Pedro, cultivateur dans une des chinampas et qui se présente en nahuatl de la façon suivante : "mon glorieux passé est écrit dans le ciel, la terre, les fleurs et l’air et dans les pierres."
Sa famille cultive des parcelles à Xochimilco[4] depuis des générations.
Crédits photo : Museum of New Zealand
Véritable prouesse architecturale, Tenochtitlán était au tout début une petite île perdue au milieu de l’immense lagune de Texcoco que les Mexicas[5] ont transformé peu à peu en cité lacustre autosuffisante grâce à un réseau de potagers et de jardins construits dans les marais et marécages de la vallée de Mexico.
Au fil des siècles la cité lacustre est devenue un modèle de durabilité qui suscite encore aujourd’hui la curiosité voire l’admiration de nombreux historiens et spécialistes de l’environnement.
Les chinampas sont l’ancêtre de la permaculture et de l’aquaponie au Mexique.
Ce sont de petites parcelles de terre faites à partir d’un matelas végétal constitué de couches successives de matière organique et de boue riche en nutriments.
Quand les Aztèques voulaient immobiliser la parcelle, ils le faisaient grâce à des pieux plantés dans le fonds de la lagune ou à l’aide de saules qu’ils plantaient tout autour du potager.
En poussant, les racines des arbres finissaient par immobiliser la parcelle.
Sur les potagers ils répandaient une couche de matière organique puis une autre de boue fertile jusqu’à ce que la superficie de la parcelle dépasse d’au moins un mètre celle de l’eau.
Au moment des cultures ils replantaient les semis dans d’autres potagers préparés avec de la boue, différents matières biodégradables dont des excréments et un savant mélange végétal.
Très tôt les semis n’avaient plus besoin d’être arrosés puisqu’ils absorbaient l’humidité du sol lui-même irrigué par l’eau de la lagune.
Un système agricole qui témoigne de l’inventivité du peuple aztèque dans une vallée inhospitalière aux centaines de marais et marécages insalubres.
Maquette représentant les chinampas qui alimentaient les habitants de Tenochtitlán. Crédits photo : Museum of New Zealand
Les chinampas actuelles. Crédits photo : Sedema
Le système ingénieux sur lequel reposent les chinampas a non seulement permis aux Aztèques de subvenir aux besoins croissants de leur population pendant des siècles mais aussi d’étendre leur empire militaire, de développer leurs villes et de mettre en place un système agricole très efficace à partir de petites parcelles de terre extrêmement fertile.
Leurs techniques agricoles étaient uniques par rapport à celles d’autres peuples chasseurs-cueilleurs qui faisaient plutôt de l’agroforesterie sur des grandes parcelles.
Crédits photo : (Sources : Coe, 1964 ; Moriarty, 1969)
En 1519, les conquistadors espagnols découvrent avec fascination un enchevêtrement de canaux d’irrigation, de digues, de ponts, de parcelles flottantes, de drainages, de terrains sédimentés qui permettaient non seulement d’importer et d’exporter des marchandises de la cité mais aussi de cultiver une variété de légumes, de fleurs et de fruits impressionnante.
Les cinq grands lacs qui se trouvaient dans la vallée de Mexico ont ainsi permis à la civilisation aztèque de laisser libre cours à son génie architectural et agricole.
Tenochtitlan entourée de ces centaines d’îles artificielles a pu prospérer grâce à un système d’irrigation conçu pour faire circuler l’eau, les sédiments et aussi les poissons entre les chinampas.
Le sud de la lagune était divisée par une digue qui séparait les eaux saumâtre de l’eau douce et alimentaient ainsi en eau potables les cités lacustres de la vallée.
Un paysage architectural magnifique et complexe dont les fondements reposaient sur des techniques agricoles élaborées, écologiques et durables : les potagers et jardins flottants ont non seulement permis de diversifier les cultures mais aussi de satisfaire les besoins des générations suivantes.
Un équilibre écologique surprenant qui donnait au moins trois récoltes à l’année et a ainsi contribué à la prospérité du peuple aztèque.
Qu’en est-il aujourd’hui de ce miracle écologique ?
Que reste-t-il du génie agricole des Aztèques ?
Les jardins flottants de Xochimilco, l’un des tout derniers quartiers de la cité lacustre aztèque sont inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1987 pour leur témoignage des techniques préhispaniques d’aquaculture.
La FAO[6] reconnaît les chinampas comme faisant partie du patrimoine agricole mondial et comme techniques agricoles permettant de contribuer à la sécurité alimentaire.
Cependant, ce fragile équilibre écologique est aujourd’hui menacé par le déversement d’une partie des égouts de Mexico qui polluent l’eau et les sols, un tourisme mal géré, de nouvelles techniques agricoles pollueuses, une urbanisation forcenée et certains conflits internes entre les acteurs de cette zone.
A l’époque aztèque, les chinampas couvraient une superficie de 120 km² et nourrissaient jusqu’à 100.000 personnes.
Elles ne représentent plus aujourd’hui que 40 km² au sud de Mexico (dans l’arrondissement de Xochimilco) et font partie d’un tissu urbain dense.[7]
De la cité lacustre aztèque il ne reste désormais que quelques centaines de parcelles que certains agriculteurs comme Pedro[8] continuent de cultiver en utilisant les mêmes techniques ancestrales.
La terre est généreuse, fertile, très fertile et Pedro la travaille avec respect comme l’ont fait ses ancêtres.
Ce système agricole très particulier qui a permis de bâtir un empire dans le passé peut être une solution aux problèmes environnementaux et alimentaires de la ville de Mexico.
À l’heure des changements climatiques, de l’insécurité alimentaire, d’une urbanisation rampante qui affecte la plupart des pays en développement, ne serait-il pas judicieux de reprendre ces techniques agricoles ancestrales ?
La chinampa est un petit paradis qui répond aux normes de la permaculture.
C’est un mode de culture agro-écologique qui rend de nombreux services écosystémiques, produit ses engrais naturels, recycle son eau, veille à la diversité de ses espèces et nourrit l’être humain.
Cette alliance magnifique entre l’homme et la nature nous montre que l’on peut combiner le meilleur du passé avec les exigences de notre présent.
Au-delà de la volonté politique il faut peut-être aussi un peu de sagesse paysanne aztèque…
Crédits photo : cndp
[1] http://lebureaudelatraductrice.com/
[2] La chinampa vient de deux mots nahuatl « chinamitl » qui veut dire « enchevêtrement de troncs, de rondins, de roseaux » et « pan » qui signifie « au-dessus de quelque chose ». Les chinampas sont des terrains maraîchers quadrillés par de multiples canaux. À la différence des jardins flottants elles sont stabilisées par des pieux ou des racines.
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Nahuas
[4] Quartier qui se trouve au sud de Mexico et qui est un vestige de la cité lacustre qui a existé il y a plusieurs siècles.
[5] Peuple fondateur de Tenochtitlán (en 1325), l’ancêtre de Mexico. Ce peuple était d’origine aztèque.
[6] Organisation des Nations unis pour l’agriculture et l’alimentation
[7] Pour plus de détails : https://www.youtube.com/watch?time_continue=1545&v=a7GrUo5Y11s
[8] Voir lien suivant : https://www.youtube.com/watch?time_continue=1545&v=a7GrUo5Y11s
Source :
http://www.entransition.fr/2018/09/06/quand-les-azteques-faisaient-de-la-permaculture/